A propos du nucléaire. Communication de Jean-Luc Pasquinet

Que signifie « arrêt immédiat » du nucléaire ?

 

 

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique on trouve un grand absent : il s’agit de  l’arrêt immédiat du nucléaire.

 

Contrairement à ce qu’on pourrait penser il ne s’agit pas d’une position « radicale » et encore moins « extrémiste ».

Il s’agit plutôt d’une position très « pragmatique » et très « réaliste ».

Car en fait, de quoi s’agit-il lorsqu’on parle d’ « arrêt immédiat » du nucléaire ?

Il n’est pas possible d’arrêter « immédiatement » en appuyant sur un bouton la totalité de la production électronucléaire, surtout dans un pays où elle représente 77 % de la production électrique.

 

Par contre, on sait que les centrales thermiques fossiles gaz et charbon sont sous-utilisées ou utilisées uniquement durant les périodes de pointe comme le rappelle le journal « Le Monde » dans son numéro du 29/11/2012 : « Electricité : l’Europe retourne au charbon ».

On sait aussi qu’en portant ce taux d’utilisation des 20 % environ actuellement à 90 % on pourrait arrêter « immédiatement » 25 réacteurs sur 58. Pour le reste un savant mélange de sobriété (une loi en ce sens est en préparation pour interdire l’éclairage des devantures la nuit), en construisant de nouvelles centrales au gaz ou au charbon et en réduisant les exportations devrait permettre d’arrêter la totalité du nucléaire facilement dans les délais d’une législature.

 

L’arrêt immédiat est donc un scénario qui part du constat que le nucléaire étant source de catastrophes il faut tout faire pour l’arrêter le plus vite possible de la façon la plus pragmatique, sans mettre comme préalable le renouvelable ni le changement de société.

 

Nous entendons déjà la question relative aux gaz à effet de serre :

 

Tout d’abord le nucléaire ne représente que 2 % de la consommation finale d’énergie, remplacer tout le nucléaire par du charbon et du gaz ne devrait quasiment pas générer de gaz à effet de serre et permettrait d’éviter beaucoup de catastrophes comme à Tchernobyl ou à Fukushima….

 

Par ailleurs, il existe une grande confusion et malheureusement elle est la plus répandue chez les écologistes qu’ailleurs, c’est celle entre énergie et électricité.

 

L’électricité est produite essentiellement avec du fossile dans le monde et essentiellement avec du charbon, le nucléaire est marginal et en déclin et sa part dans le mix énergétique mondial ne représente plus que de 2 % de la consommation finale d’énergie.

 

L’énergie, c’est d’abord le pétrole. Le pétrole c’est le sang de notre civilisation, il est au cœur de l’organisation libérale et productiviste du monde, c’est lui qui permet l’utilisation des automobiles, des avions, des machines agricoles, des cargos….et de beaucoup de machines industrielles.

 

Or, la voiture et son monde, les avions, l’agriculture productiviste, ….expliquent l’essentiel des gaz à effet de serre; d’après le site manicore.com[1], la consommation de pétrole expliquerait 35 % des gaz à effet de serre contre 22 % pour le charbon et 20 % pour le gaz.

 

Pétrole 35 %
Charbon 22 %
Gaz 20 %
Total 75 %

 

 

Nous passerons sur les incertitudes relatives à la contribution des différentes sources aux gaz à effet qui peut varier énormément selon les auteurs, par exemple de 6 g/KW pour « manicore.com » à 120 g/KW selon d’autres sources.

 

Or, contrairement à ce qui est avancé dans ce site, la production d’électricité n’est pas la principale cause de production des gaz à effet de serre.

 

Si l’on tient compte de la répartition de ces sources d’énergie dans la production d’électricité mondiale, l’électricité représente 25 % de la demande d’énergie finale et provient pour 39 % du charbon, 19 % d’énergies renouvelables, 15 % du nucléaire, 20 % du gaz et 7 % du pétrole (goodplanet.info). Ce qui signifie que la contribution des fossiles à l’émission de gaz à effet de serre en dehors de la production d’électricité se répartirait ainsi :

Ressources Part dans émission de GES Part ressources dans pion d’électricité Part ressources dans émission GES pour pion d’électricité Contribution ressources hors électricité
Pétrole >35 % >7% 35%*7% = 2,45 % 35 %-2,45 % =32,55%
Charbon >22 % >39% 22%*39% = 8,58 % 22 %-8,58 %=13,42 %
Gaz > 20% >20% 20%*20% = 4 % 20 %-4 % =16 %
Nucléaire   >15%    
Renouvelable   >19%    
Total 75 % 100 % 15 % 61,97 %

 

 

Et donc la contribution des gaz à effet de serre du charbon et du gaz serait de 13,42 %+16% = 29,42  % hors électricité et celle du pétrole de 32,55 % hors électricité.

 

Mais si l’on compare la contribution à l’émission des gaz à effet de serre des fossilesconsacrée à produire de l’électricité elle n’est plus que de 15 % (8,55%+4%+2,45%), contre 61,97 % (13,42 %+16%+32,55 %) pour la part consacrée à l’énergie.

 

Le pétrole et son monde expliquent  bien l’essentiel des gaz à effet de serre.

 

Dans ces conditions, la meilleur façon de lutter contre les gaz à effet de serre c’est de réduire les émissions dues au pétrole et à son monde. De commencer à relocaliser les économies, c’est-à-dire de lutter contre le libéralisme et sa division internationale du travail qui nécessite un recours sans cesse croissant au pétrole ; par exemple lorsqu’on pèche des crevettes en Thaïlande qu’on les décortique dans un autre pays, qu’on les conditionne dans un troisième,  pour les vendre dans un quatrième pays….De lancer une réflexion sur la sobriété, les produits, leur usage : de quoi avons-nous réellement besoin ? Qu’on réduise drastiquement l’usage de l’automobile, des transports aériens, que l’on remette en cause l’agriculture productiviste et forte consommatrice de pesticides, etc.…

Une fois le nucléaire arrêté, nous pourrons réfléchir plus sereinement à la meilleure organisation sociale, politique et économique qui nous permettrait de dépasser la société productiviste dans laquelle nous vivons. Celle-ci nous broie dans un étau constitué d’un côté par la disparition des ressources naturelles non renouvelables et de l’autre l’augmentation des déchets de toutes sortes et pas seulement des gaz à effet de serre.

 

Jean-Luc Pasquinet